Enfin, je l'ai retrouvée!
Malheureusement, décédée en 2007, à l'âge de 90 ans. En colère contre certaines pratiques comme la culture intensive, l'élevage des animaux en batterie... enfin, toute l'horreur de notre société actuelle... Peut-on lui donner tord?... Certainement pas!
Je vous livre un interview, qui remonte à 10 ans, par l'intermédiaire de l'ancien maire de son village qui l'a côtoyée régulièrement.
"Le vélo était en très bon état, les jambes d'Alain aussi. En fixant un panier sur le porte-bagage, il pouvait aller faire ses courses à Auxon, à cinq kilomètres de là car, à Eaux-Puiseaux, il n'y avait rien, aucun épicier.... seulement le préposé de l'agence postale qui vendait des cigarettes, des bonbons, du chewing-gum, des piles électriques, du terreau pour les plantes en pot et des bulbes de bégonias..."
Ainsi débute une nouvelle et fantastique histoire policière longue de 220 pages, parue aux éditions Fleuve-Noir, Paris, 1979.
Son auteur à pour nom, Mario Ropp. Pour nom ou plus exactement pour pseudonyme car ce personnage qui a eu sa place dans l'éventail des publications de cette brillante collection s'appelle Maïa Devillers. Vous avez bien lu: sous la signature de Mario Ropp se dissimule une femme qui réside depuis longtemps aux Bordes.
J'ai voulu connaître un peu mieux celle qui a écrit des centaines de manuscrits, romans policiers surtout et en a publié une bonne centaine.... Celle qu'un grand quotidien définissait ainsi dans les années 1970: "un pittoresque bout de femme, feu follet en perpétuel état de frénésie, boule d'énergie effervescente, puissance farouche et indomptable, cuirassée de gentillesse et de simplicité."
C'était la Mario Ropp des année 1970-1980.
Aujourd'hui, elle ne dira plus rien. Maïa n'écrit plus. Il est vrai qu'elle porte allègrement plus de 80 printemps sur ses épaules devenues frêles qu'elle recouvre souvent d'un châle proche de la couleur de ses cheveux, c'est-à-dire argentés.
Aussi, je me suis rendu aux Bordes, hameau qui prolonge la commune d'Eaux-Puiseaux, à la lisière des premières pentes de la forêt d'Othe, pour essayer d'interviewer notre célèbre romancière.
Mario Ropp est peut-être là, derrière une grille arabesque en fer forgé, la grille des lapins bleus, paraît-il... Derrière cette grille, une verdure touffue cerne le terrain. La petite maison de la romancière se cache juste à droite, mais on ne l'aperçoit pas tout de suite. Lorsqu'on franchit ce barrage, l'ensemble heurte l'esprit. Il s'y mêle une odeur fascinante.
Maïa est là, plantée sous la minuscule véranda. Elle doit m'attendre. Un peu hésitante, l'oreille attentive, sur la défensive... Elle écoute les quelques phrases que je lui débite en guise d'introduction. Elle a compris immédiatement l'objet de ma visite et, à ma grande surprise, elle semble disposée à se laisser attendrir.
Nous pénétrons rapidement dans cet antre mystérieux, étrange. Je ne décrirai pas l'intérieur de sa maison car je veux respecter l'intimité de cette grande Dame de l'écriture policière. Sûrement impressionné par ce que mes yeux découvrent, je lui pose la question la plus banale qu'il soit:
- Maïa, à quel âge avez-vous commencé à écrire?
- J'ai commencé à 13 ans par des vers, on aiguise souvent sa plume par des poèmes. Puis, j'ai écrit des romans d'amour. Pour moi, c'était un exutoire, mais j'en suis vite venue au "policier ". Je devais avoir 20 ans.
- Maïa, qu'est-ce qui vous a attiré vers ce genre?
- Le côté psychologique, logique, fouillé sûrement pendant la guerre, je vivais avec mes parents. J'écrivais enfermée dans ma chambre, car ceux-ci me disaient: " ce n'est pas en écrivant que tu gagneras ta croûte. " Alors, pour prouver et surtout me prouver que j'étais capable de faire autre chose, j'ai travaillé pendant plusieurs mois à Paris, dans un atelier de brochage, à l'expédition de journaux. Toute la journée j'emballais " Coeur vaillant," ou " Ames vaillantes."
L'oeil de la romancière s'allume... La voici pleinement dans son univers, dans ses souvenirs. Je ne suis pas là. Elle fourrage quelques instants des deux mains dans sa chevelure argentée et elle continue:
- Ouagadougou, Bobo Dioulassa: l'Afrique! Ces deux noms de villes défilaient quotidiennement devant mes yeux. Un jour, je n'ai pas pu résister à la tentation. J'avais quatre années de dessin-décoration à mon actif, entérinées par un certificat de fin d'études de l'Ecole Supérieure d'Arts Décoratifs. J'ai été présentée à Théodore Monod, Directeur de l'Institut Français d'Afrique Noire qui recherchait un dessinateur. Mon essai l'a enthousiasmé et, en 1950, je me suis embarquée pour Dakar où je suis restée trois ans. Puis, au service de l'Office Français de Recherches Scientifiques et Techniques d'Outre-Mer. J'ai voyagé jusqu'en 1958, de la Côte-d'Ivoire au Sénégal. Je dessinais mais j'écrivais également. Un jour, à la fin d'un congé passé en France, j'étais assise dans une banque attendant l'appel de mon numéro, assise près d'un homme qui lisait " un contrat d'édition " de la maison Fleuve Noir. Le soir même, j'étais rue Vercingétorix où j'apportais au grand patron de la " Boîte, " un manuscrit retapé et corrigé à la machine.
- Il fut accepté? murmurais-je.
- Non: " c'est très bien écrit, me dit-il, après l'avoir parcouru, mais il lui manque un petit quelque chose qui fait que nous ne pouvons envisager sa publication. " j'étais furibonde. Je l'ai relancé en lui proposant un autre manuscrit, " jeu sans joie," qui fut accepté et publié.
- Mais, combien avez-vous écrit de roman?
Elle eut un ample geste pour signifier son ignorance....
- Des centaines... mais beaucoup ne sont jamais sortis du fond de mes tiroirs. Une centaine a été publiée au " Fleuve Noir " et une dizaine chez "Ditis," maison pour laquelle j'ai travaillé avant qu'elle disparaisse. j'ai également écrit, un peu, pour une autre maison d'éditions.
- Mais avez-vous été traduite quelque fois?
- Oui, bien sûr, d'abord en italien, mais aussi en allemand, en espagnol ainsi qu'en finlandais. De plus, certains de mes romans ont eu l'honneur de journaux régionaux et de la radio, grâce à une émission de Germaine Beaumont: " l'heure du mystère." Et puis, un film également: " de la drogue, du vice," mais je n'en parlerai pas car ce film a complètement dénaturé mon roman, de même que le téléfilm pour la télé: " ne fait pas ça Isabelle" avec Anne Gael...
- Maïa, comment écriviez-vous?
- Tous les jours, 365 jours par an. Le matin je noircissais du papier. Complètement crevée. L'après-midi, je bricolais, je soignais mes animaux. Je me promenais aussi... Il me fallait de 8 jours à 3 semaines pour écrire un roman et à peu près 15 jours pour le retravailler.
- Aviez- vous dans votre tête une trame précise au moment d'écrire la première ligne?
Maïa écarquilla les yeux!
- Jamais! J'avais une vague idée de l'intrigue, oui... mais absolument rien de précis. Parfois, c'était seulement dans les dernières pages d'un manuscrit que je démasquais mon "coupable".
- En fait, vous enquêtiez-vous même!
- Exactement, ceci me permettait, à partir d'un point de départ, d'aboutir à mon gré, à des dénouements totalement différents, voir opposés.
- Et vos personnages, Maïa?
- Des êtres de calibre normal qui, placés dans des conditions telles que, sous une impulsion quelconque, ils se voient acculés au meurtre. Les noms, je les pêchais dans les cartes routières pour éviter de donner à mes personnages des identités réelles.
- Mais pourquoi écrivez-vous?
Maïa sursaute presque.
- C'est LA QUESTION! C'est difficile d'y répondre... peut-être pour amuser ou détendre les gens, ou bien tout simplement pour distraire.
- Maïa, s'il vous plait, nous savons beaucoup de choses sur la romancière Mario Ropp, mais je voudrais que vous me parliez maintenant de vous. De votre vie de femme en somme... de vos passion après l'écriture... je vois, par exemple, que vous êtes encore entourée d'animaux.
- Des animaux, j'en ai toujours eu, ou presque. J'ai eu des chiens, des chats, un singe, un lapin polonais gros comme mon poing, plus de 100 oiseaux, une myriade de poissons. Je me souviens d'un Beagle, Rebecca, qui a eu le 1er prix d'excellence à l'exposition canine de Troye... un poney, Fritz, des canards, des oies, etc... et j'en oublie sûrement.
- Mais pourquoi tous ces animaux? Et les gens, les hommes?
- Je suis toute seule et j'ai besoin d'affection. Vous comprenez, on n'a jamais les gens au moment où on les veut. Les bêtes, elles, sont toujours disponibles. Elles sont comme des gosses, sans défenses, avec leurs grands yeux innocents. Les bêtes me font confiance et il serait abominable de tromper cette confiance.
La franchise de Maïa éclate dans sa réponse soudaine. Elle s'excuse presque de son égocentrisme, voire de sa paranoïa. Puis nous parlons maintenant de choses et d'autres. J'apprends de sa bouche qu'elle se révolte contre la production intensive, exagérée des cultivateurs actuels. Elle m'avertit: " La campagne crèvera un jour ou l'autre pour avoir voulu trop produire..." Ou bien, elle me fait part de son désarroi lorsqu'elle entend une tronçonneuse. Elle me dit: " rien ne me rend plus malheureuse que la chute d'un arbre que l'on vient d'abattre."
Nous nous entretenons encore, et encore. Il n'y a plus de trame, plus de contrainte. Tous les sujets sont bons: la politique, les américains, De Gaulle, Paris, sa retrait ici, dans ce hameau des Bordes, des chanteurs, des fleurs surtout, de la musique, des blés muris qui ondulent sous la brise qu'elle regarde chaque matin pousser, jaunir, mais qu'elle n'aime pas voir couper, dévorer par l'énorme moissonneuse... et toujours, toujours, ses romans policiers.
Lorsque nous nous quittons, le soleil est déjà caché derrière les arbres de sa forêt, forêt d'Othe toute proche. Les heures se sont égrénées sans que j'ai pensé une seule fois à consulter ma montre, maîtresse du temps. Je remercie Mario Ropp, enfin, Maïa Devillers, de m'avoir déroulé sa vie et bien souvent ouvert son coeur...
Sur le chemin du retour, j'essaie de rassembler mes idées et de trouver une phrase pour qualifier cette petite bonne femme si attachante.
Je dirai simplement: " Maïa, enfant de la bougeoisie alsacienne, étrange fille dévorée par des passions diverses: la sculpture, le dessin, les voyages. Sans se complaire dans l'eau de rose de ses premiers amours, elle a choisi le roman pour nous distraire... MERCI Mario Ropp et merci Maïa Devillers.
Avec la permission de l'ex-maire de Eaux-Puiseaux.: Roger Balesse
Photo du: puisotin. com.
1 commentaire:
merci pour votre article je cherchais depuis longtemps des nouvelles de ce remarquable auteur populaire qui a écrit chez Ditis sous le pseudonyme de Dominique Dorn
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